Comme toutes les dictatures, le régime soviétique ne pouvait assurer son contrôle sur les populations qu'en maintenant une atmosphère obsidionale. De plus, l'échec de la planification marxiste, tant sur le plan industriel qu'agricole, amenait inévitablement la recherche de ressources par des conquêtes extérieures. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu'aux années 80, le monde a donc vécu dans la menace de l'expansionnisme militaire de Moscou.

Le fait militaire dominant était évidemment l'existence des armes nucléaires. Comme pour toutes les armes nouvelles (les gaz après la première guerre mondiale, les bombardements stratégiques après la guerre d'Espagne…), on leur a attribué des effets certainement exagérés : bons nombres de bombardements classiques ont causé plus de dégâts qu'à Hiroshima et Nagasaki, et la vie a rapidement repris sur les sites d'expérimentations nucléaires américains et français. Mais elles ont longtemps interdit d'envisager un conflit frontal en Europe.

Une première série d'affrontements limités (crise de Berlin, guerre de Corée…) avaient montré que les démocraties étaient capables de s'unir pour résister à une attaque indirecte, tout en n'osant pas riposter. Est venue ensuite la période de la décolonisation, qui a d'abord semblé un succès pour le camp marxiste : En quelques années, les puissances européennes ont perdu leurs empires. Mais le résultat final n'a pas été celui qui était prévu. Au lieu d'affaiblir les ex-colonisateurs, le repli sur l'Europe leur a permis de concentrer leurs forces pour accélérer leurs propres expansions économiques, sans s'épuiser à soutenir le développement sanitaire et économique de leurs colonisés et à arbitrer d'irréductibles conflits ethniques. D'autant plus que cela ne les a pas empêchées de continuer à bénéficier des richesses naturelles de ces ex-colonies. Simplement, cette exploitation s'est poursuivie non plus sous le contrôle d'administrations plus ou moins sensibles à des idées moralisatrices, mais directement par des compagnies commerciales beaucoup plus cyniques. Par contre, très peu des ex-colonies ont vraiment rallié le camp socialiste, et celles qui l'ont fait (Cuba, Viet-Nam…) lui ont rapidement coûté beaucoup plus qu'ils ne rapportaient.

Dès la fin des années 50, la stratégie de l'URSS évolue vers ce qui semble la préparation d'une offensive en Europe. Tandis que les crises agricoles et les quasi-famines se succèdent dans les républiques russes, d'énormes ressources sont mobilisées pour renforcer les divisions blindées en Europe de l'Est, tandis qu'une force de missiles stratégiques vise à dissuader les Etats-Unis d'intervenir. La crise des missiles à Cuba (1962) a concrétisé cette menace. La fermeté de Kennedy a mis en échec cette politique, mais on pouvait imaginer qu'un des présidents qui lui succèderaient pourrait être plus pusillanime ou isolationniste. Simultanément, les efforts entrepris pour déstabiliser les pays d'Europe occidentale se sont heurtés à des leaders déterminés comme de Gaulle ou Adenauer. Mais eux-aussi n'étaient pas éternels.

Dans cette hypothèse d'une guerre en Europe sans l'emploi d'armes nucléaires, nul ne doutait que les forces de l'OTAN stationnées en Europe n'auraient rien pu faire de plus que des actions de retardement. Comme pendant les deux précédentes conflits mondiaux, tout se jouait sur la capacité à transporter rapidement à travers l'Atlantique des renforts américains en hommes et en matériel. Parallèlement, la neutralisation probable des aérodromes aurait pu être compensée par l'intervention des task-forces américaines, puisque l'aviation d'assaut embarquée avait démontré son efficacité aussi bien en Corée qu'en Indochine.

Donc, comme l'Allemagne nazie en son temps, l'Union Soviétique s'est construit une énorme flotte de sous-marins afin d'entraver la navigation des convois et des groupes navals. Une sorte de jeu s'en est suivi où chacun montrait sa force en espérant que l'adversaire se laisserait intimider. Des submersibles étaient envoyés de façon continue pour patrouiller dans les zones de navigation et d'exercice des marines occidentales. Démontrer que cette menace pouvait être neutralisée n'était donc pas une mission secondaire.

A l'époque, les sous-marins d'attaque étaient pratiquement tous dotés d'une propulsion classique associant moteur diésel-électrique et schnorchel. Comme il n'était guère possible d'inquiéter un tel sous-marin lorsqu'il était tapi silencieusement en embuscade, il fallait donc l'intercepter pendant son transit vers une zone de patrouille ou alors qu'il devait manœuvrer pour se placer en position d'attaque. Telle a été la mission principale de l'aviation de patrouille maritime basée à terre ou embarquée, et donc celle des Alizé.

Contre les sous-marins en transit, l'objectif est de maintenir une permanence sur zone avec un appareil qui allume irrégulièrement son radar de recherche. Si un sous-marin se trouve au schnorchel, il sera repéré. Evidemment, son équipement de contre-mesure l'alertera immédiatement et il plongera avant d'être attaqué. Le problème pour lui est que cette manœuvre d'urgence est coûteuse en énergie et éprouvante pour l'équipage. Cette tactique est aussi très fatigante pour les équipages des avions, qui doivent se succéder pour maintenir une pression sans défaillance pendant plusieurs jours. Qu'un seul navigateur calcule mal sa patrouille, qu'un seul radariste manque de vigilance et le sous-marin pourra recharger ses batteries, rendant inutile le travail de tous les autres équipages. Mais si, chaque fois que le sous-marin met le nez dehors, il est contraint de replonger aussitôt, il va s'épuiser et sera amené à prendre de plus en plus de risques… jusqu'au moment où il se découvrira à proximité de son chasseur. Sa situation devient alors très critique, car les appareils ASM ont les moyens de le localiser après sa plongée: Mad pour les avions lourds de patrouille maritime, sonar pour les hélicoptères et "Tactique Julie" pour les Alizé. Cela devient alors une partie d'échec entre le coordinateur tactique de l'avion et le commandant du sous-marin, qui évolue pour essayer de s'échapper, jusqu'au lancement de la bombette explosive dont la détonation signale au sous-marin qu'en situation de guerre ouverte, une torpille auto-guidée serait larguée.

Le problème est à peu près le même lorsqu'il s'agit de protéger une force navale. Un sous-marin classique, qui est moins rapide qu'un bâtiment de surface, doit manœuvrer pour aller se placer en avant de la route de ses éventuelles victimes. Pour cela, il doit naviguer au schnorchel, pour être plus rapide et économiser ses batteries pour l'attaque. Les appareils ASM se retrouvent donc devant le même problème que précédemment, à cette différence près que la zone de patrouille est plus petite et se déplace avec la force navale.

Pendant presque tous les exercices d'une certaine importance menés avec des flottes alliées, un ou plusieurs sous-marins "non-identifiés" ont été détectés et poursuivis. De même, beaucoup de sous-marins "Certsub" (certains) ou "Probsub" (probables) ont été surpris en transit. Seuls ceux qui organisaient les missions de ces bâtiments connaissent la proportion entre ceux qui ont été détectés ou non.

Beaucoup d'autres ont joué leurs rôles dans cette guerre "froide", certains dans des conditions largement plus médiatiques, d'autres encore plus obscurs. Les médias se sont passionnés pour des opérations nettement plus spectaculaires (guerre du Viet-Nam, conquête de l'espace…), mais dont les conséquences étaient peut-être moins immédiates pour la sécurité de nos démocraties. Les ex-généraux staliniens (comme Kroutchev) ont été remplacés par des membres du KGB, encore plus experts en opérations "virtuelles". Jusqu'à ce qu'enfin les joueurs soviétiques jugent qu'ils n'avaient plus aucune chance de gagner la partie…

Echec et mat !

Parce que la vie d'une nation est une suite de combats, d'autres problèmes, d'autres adversaires se sont alors manifestés. La Flottille 9F n'est plus là pour jouer discrètement sa partition. Mais qui sait ce que l'avenir sera ?

Hugues de Pouqueville