II
La 9F en Indochine

Le porte-avions et sa conserve arrivent au Cap Saint-Jacques le 29 septembre, où s'opèrent les inévitables ravitaillements, avant de pouvoir appareiller pour Tourane le 4 octobre. Des appareils sont débarqués et le VF de Tourane se trouve alors constitué de 6 SB2C les 9.F-1, 9.F-3, 9.F-6, 9.F-7. 9.F-8 et 9.F-11 ainsi que de 4 Hellcat de la l2F.

La première période d'activité du GPAEO débute par une brève période d'entraînement au profit des deux flottilles du 4 au 6 octobre.

Le 7 octobre 1952, le LV Jean-Claude Hervio prend le commandement de la flottille.

A bord du porte-avions se trouvent 9 Helldiver : les 9.F-2, 9.F-4. 9.F-5. 9.F-9, 9.F-11. 9.F-12. 9.F-13, 9.F-14 et 9.F-15. Treize des SB2C présents en Indochine proviennent du VR de Karouba. Les deux autres appareils ont subi une visite de 240 heures à Karouba et le potentiel de ces quinze avions avant leur prochaine visite de 240 heures est de 2182 heures de fonctionnement.

Les premières pontées de Helldiver et de Hellcat sont lancées dès le 8 octobre avec un total de 12 Helldiver intervenant dans la région de Vinh Hot et dans le Than Hoa contre des routes et des ponts. Pour l'occasion, le commandant du porte-avions, le CV Lahaye, embarque comme mitrailleur.

Ces interventions exécutées à titre d'accoutumance, permettent de rôder les navigants ainsi que les équipes du porte-avions renouvelées avant la campagne.

Ils seront repêchés par un S-51. C'est la première fois qu'un hélicoptère est utilisé en campagne !

Le 11 octobre, 1' Arromanches mouille aux îles Norway. Le 15, un Helldiver (BuAer 89433) tombe en mer après catapultage: l'équipage du 9.F-12, LV Fatou et l'A/C Perret, un chiffreur de l'armée de l'Air, est récupéré indemne.

" Dans l'attente de l'arrivée des pièces de rechange et de la remise en oeuvre de la catapulte, les appareils décollent du pont avec charges réduites. Comme le chargement est lourd ", note un radio de bord vétéran de cette campagne, " (en général 3 bombes de 1000 livres plus le plein en pétrole) les mitrailleurs sont débarqués... Cela faisait toujours quelques 150 livres de gagnées et un volant de moins à l'eau en cas de perte de puissance au décollage.

La cause de la panne était la rupture du câble d'entraînement de la catapulte. La rechange emportée de France … était trop courte de 2 m !
Il fallut en commander une autre en Angleterre et attendre sa livraison.

Après réparation, les deux commandants de flottilles, le LV Vercken à la 12.F et le LV Hervio chez nous, ont été les premiers à essayer la catapulte le 4 novembre... le premier avec palmes, masque et tuba à portée de main, parait-il... La catapulte de l'Arro était capable de lancer les SB2C à 16500 livres en poids total. La limite à même été étendue jusqu'à 16800 livres et le PA pouvait nous ramasser avec 23 noeuds de vent sur le pont. Il n'y avait qu'un seul problème en cas de crash sur le pont de l'Arro : pas de grue mobile, capable de relever notre bon vieux SB2C."  

Les SB2C à terre

Le 18 octobre, à la suite de cette avarie de catapulte, une partie du groupe aérien est transférée sur le terrain Cat Bi afin de dégager le pont d'envol pendant les réparations.

Jusqu'au 20, les Helldiver mènent des attaques contre la batellerie viêt-minh sur la rivière Claire et exécutent des coupures sur la RC 3. Le but poursuivi par le commandement est d'entretenir régulièrement des coupures le long de cette route et de gêner ainsi au maximum le ravitaillement viêt-minh. Certaines de ces coupures, effectuées en des points particulièrement vulnérables, sont déjà très anciennes et portent des noms conventionnels (ISIDORE, GRECO) donnés par le GATAC Nord (indicatif TORRICELLI). Elles sont inspectées quotidiennement par les avions de reconnaissance de l'armée de l'Air et leur état est soigneusement tenu à jour.

Fleuve Rouge et rivière Noire

Engagés à partir du 20 octobre 1952 entre le Fleuve Rouge et la rivière Noire au Tonkin, les SB2C soutiennent le retrait des troupes amies après la chute de Nghia Lo en pilonnant les axes de cheminement ennemis. L'activité aérienne est forte et souvent les équipages de SB2C travaillent jusqu'au coucher du soleil, se posant de nuit à Cat Bi. Le 23 octobre, le SB2C 9.F-10. l'un des appareils restés à bord du porte-avions, est accidenté à l'appontage.

Le 29, le détachement basé à terre rejoint le bord pour une période de semi-repos dont les hommes et le matériel ont bien besoin. Les pilotes et les radio-mitrailleurs se consacrent principalement à la préparation de la prochaine phase opérationnelle tandis que le personnel non volant est occupé par l'entretien des avions. Le nombre relativement faible d'appontages qu'avaient effectués les pilotes nouvellement qualifiés et l'impossibilité de les faire voler pendant le trajet maritime de plus d'un mois faisait craindre de sérieuses difficultés. Il n'en a rien été et anciens et nouveaux ont pu être suffisamment "rafraîchis" au cours de 140 appontages et 40 catapultages réalisés depuis l'arrivée du GPAEO en Extrême-Orient, au prix cependant de 2 Helldiver sérieusement avariés par des appontages très durs, mais sans aucune casse pour les Hellcat. Aucune barrière, aucun boulevard. Ayant déjà détruit 3 Helldiver durant sa courte carrière, un pilote est cependant éliminé.

Après la remise en service de sa catapulte le 4 novembre, 1'Arromanches retrouve toutes ses capacités de lancement des avions chargés.  

Lutte pour le pays thaï

Ravitaillé en carburant et en munitions, le porte-avions est de nouveau prêt à lancer ses flottilles contre le corps de bataille viêt-minh dont les réguliers progressent à grands pas entre le fleuve Rouge et la rivière Noire obligeant les garnisons des postes à se replier.

Dès le 5 novembre, la 9.F appuie les troupes au cours de l'opération LORRAINE puis intervient entre Phu Doan et Pau Tho pour protéger la retraite des éléments arrière tombés dans une embuscade, et détruire le matériel français laissé sur le terrain.

Au dessus de Na San

L'affut double de mitrailleuses arrières est très peu utilisé, car son débattement vers le bas est insuffisant.

A partir du 22 novembre, les appareils de 1'Arromanches prennent quotidiennement le chemin de la montagne pour intervenir autour de l'aérodrome du camp retranché de Na San. Le temps demeure beau jusqu'à la fin du mois mais des stratus recouvrent le delta tonkinois et barrent parfois la route à hauteur de Hoa Binh sur une profondeur de 50 km. La vallée de la rivière Noire est fréquemment bouchée, et la navigation la plus sûre pour les SB2C consiste à franchir la barre des nuages en montant à 7000 pieds. Les pilotes recouvrent la vue du sol du côté de Van Yen ce qui permet le cheminement jusqu'à Na San où, chaque jour, les équipages observent les progrès de l'installation du camp. Guidés par les Criquet qui se relaient au dessus de divers points de la zone des combats, les patrouilles piquent et larguent leurs bombes sur les objectifs désignés par leurs observateurs postés en place arrière.

Autour de Na San, la ronde des Dakota de ravitaillement qui se posent puis redécollent, et les attaques des B-26, Bearcat, Hellcat et Helldiver qui appuient les forces terrestres harcelées par l'armée du général Giap, est de plus en plus dense. L'encombrement de la fréquence d'opérations est une gêne certaine car les Criquet travaillent tous sur la même fréquence.

Les chasseurs de l'armée de l'Air, en provenance de Bach Maï et Cat Bi, moins riches en carburant que les chasseurs de la Marine, ont priorité pour attaquer. Les appareils de l'Arromanches attendent patiemment, parfois pendant quarante minutes, au dessus de la piste d'aviation et des retranchements avant de recevoir un objectif. La DCA adverse provoque des dégâts aux avions sans en abattre.

Dans la soirée du 1" décembre, la période d'activité du porte-avions prend fin, le bâtiment devant ravitailler et effectuer des réparations.

La 9.F est mise à terre à Cat Bi avec 7 SB2C en compagnie de 12 F6F de la 12.F, ces appareils constituant une réserve opérationnelle pour le commandement en chef qui craint une attaque générale sur le réduit de Na San. Le 2 décembre dans l'après-midi, 4 Helldiver, accompagnés de 2 Hellcat, sont envoyés en sections de deux appareils pour faire de l'appui direct à Na San. Les SB2C sont équipés de bombes à fragmentation et les F6F de bidons de napalm.  

SB2C multi-missions

De retour à bord les Helldiver reprennent leurs opérations le 10 décembre. L'activité de la flottille se porte alors sur la surveillance des mouvements adverses sur les RP 41 et 12 et la région du delta tonkinois située entre le fleuve rouge et la rivière Noire.

Une nouvelle munition est employée pendant cette période, la bombe butterfly M.131, un container à empennage rempli de 90 grenades de 4 livres qui, munies d'ailettes se dispersent au moment de l'ouverture et tombent lentement au sol suspendues à leur hélice. Suivant le type employé, ces petites mines explosent à l'impact, avec retard ou sous l'impulsion d'un léger choc (passage d'un combattant, d'un véhicule). Tout comme en Corée, son utilisation gêne énormément les communications ennemies.

" Les bombardement de routes et de ponts se faisaient à la bombe de 1000 livres, celles de 500 livres servant surtout à entretenir les coupures. Verrières ouvertes, volets sortis et vitesse stabilisée à 360 noeuds, les piqués étaient exécutés sous un angle de 45°, parfois même proche de 90°, en fonction de la configuration du terrain. Souvent, à l'issue des ces bombardements comme il nous restait toujours des munitions pour les canons " commente un pilote, " les chefs de patrouille appelaient TORRICELLI qui ordonnait fréquemment une mission secondaire avant le retour à bord. Nos armes de capot, des canons de 20 mm. marchaient très bien, la plupart de ces armes étant à l'état neuf au début de la campagne.

Dans l'après-midi du 15 décembre, nous avons bombardé un point sensible de la RC 3, coupant la route en deux endroits. Au retour, l'un de nos SB2C a largué deux conteneurs de mines Butterfly sur une coupure, récente de la RP 41 qui, égrenée de ces petites mines, ne pouvait plus être réparée rapidement sans causer de pertes aux travailleurs Viêt-minhs ".

Le harcèlement de la batellerie, l'attaque des embarcadères ou des dépôts sont alors les objectifs régulièrement désignés contre lesquels les canons et les roquettes sont particulièrement efficaces. Les pièces de DCA adverses devenant de plus en plus nombreuses et efficaces, chaque strike de F6F de la 12.F est désormais accompagné par une section de deux SB2C. Chaque avion emporte en soute trois bombes anti-personnel de 260 livres munies de fusées de proximité, une tactique permettant l'attaque immédiate des positions de DCA.

Les missions assaut-découverte et de reconnaissance année sont effectuées par patrouilles de deux avions volant à basse altitude dans les vallées et le long des voies de communication. Lors de ces missions, les objectifs sont surtout des dépôts de matériels repérés à l'avance sur l'itinéraire prescrit ou découverts en cours de mission.

Les interventions les plus intéressantes pour les équipages sont les missions d'appui direct, effectuées en général sous la direction d'un Morane 500 d'observation ou d'un poste au contact avec l'ennemi. Cependant, l'absence à bord des SB2C de moyens de transmission en modulation de fréquence dont sont équipés les troupes au sol, est une gêne sérieuse pour l'appui direct en l'absence de Criquet.

Un équipage ne rentre pas

Le 19 décembre, le Helldiver BuAer 89452 disparaît la jungle pour des raisons inconnues du haut Laos, région de Sam Neua. Les deux membres d'équipage du 9.F-15, l'EV Jacques Paunet et le SM André Lotode, sont portés disparus. Après seulement quelques semaines d'opérations, la flottille est en deuil.

Entre le moment où elle est entrée en action début octobre et la fin de l'année 1952, la 9.F totalise 1195 heures de vol, dont 1064 en opérations, ses Helldiver ayant effectué 352 catapultages et 407 appontages. Sur les treize SB2C présents en Indochine, un seul dépasse les 1000 heures de fonctionnement.

A la fin de ce dernier trimestre, les avions 9.F-4, 9.F-7, 9.F-8 et 9.F-11 sont au VF de Cat Bi en compagnie de 3 F6F, les 9 autres SB2C se trouvant à bord avec les 18 F6F de la 12.F

Après quelques jours d'activité dès le début du mois de janvier 1953, 1'Arromanches fait route sur Hong Kong où il séjourne du 7 au 13 pour y subir un carénage, pour le plus grand plaisir des équipages. Un détachement des seize appareils du groupe est envoyé sur l'aérodrome de Kaï Tak alors que le porte-avions est encore à une centaine de nautiques de la colonie britannique.