Par
André Lemaire et Norbert Maress
Ditching de nuit du TBM 9F-5 de la 9F
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Remarque liminaire : Dans
un accident aérien grave (No 3/59- Ditching de nuit du TBM 9F-5 le 5
janvier 1959) il est toujours intéressant de lier les souvenirs des différents
membres d'équipage, en l'occurrence le LV Lemaire, chef de la patrouille sur le
TBM3W- 9F-16 et le PM Maress, radio du TBM3S- 9F-5, sectionnaire, piloté par le SM Jeannin. On obtient ainsi une vision plus humaine,
plus chaude et plus vivante telle qu'elle ne figure pas dans les conclusions
d'un rapport d'accident nécessairement impersonnel dans sa rigueur technique.
Souvenirs d’ André Lemaire, officier en second de la flottille
Décollage d'Ajaccio en début de nuit,
sectionnaire SM Jeannin, pour recherche par nuit noire et Casex avec le
sous-marin Millé. Prise de route
vers la zone d'exercice dans le Sud de
Porquerolles.
Vol de routine pendant la première partie du transit lorsque,
brutalement, c'est le choc : la couronne moteur du 9F-5 s'enflamme, véritable
feu d'artifice dans la nuit. C'est grave et visiblement, c'est bien le cas de
le dire hélas, ça ne va pas tenir très
longtemps.
Jeannin confirme et me tient au courant des paramètres d'un moteur
qui lâche effectivement dans la minute suivante. L'avion amorce dès lors une
descente irrémédiable vers un inconnu menaçant et obscur; je l'accompagne en
section sur sa gauche.
May
day, accompagné de la position, émis et reçu par le PcOps de Hyères qui prends
tout de suite la coordination des opérations de sauvetage. Litanie des actions
vitales rappelées à Jeannin au fur et à mesure que l'altitude décroît, largage
des verrières au top; rappels probablement inutiles-je connais bien Jeannin-
mais dans un tel cas de tension nerveuse, deux réflexes valent mieux
qu'un.
De l'altimètre je suis passé à la radio
sonde lorsque d'un seul coup, freinés comme par un brin de porte-avions, les
feux de navigation du 5 disparaissent sous mon plan droit; ça y est.
Orbite immédiate pour essayer de localiser
l'impact. Rien d'abord mais très vite
des petites lueurs clignotent, pratiquement invisibles mais rendues mieux
détectables grâce à l'obscurité profonde de la nuit. Il y a des survivants. Une fusée
confirme.
Stabilisation ultra rapide de l'avion pour
essayer d'obtenir un recalage sur la côte sans perdre des yeux ces petites
lueurs qui, de toute évidence, ne peuvent être que des lampes de mae-west. Le PM Grall, au poste radar, réussit le
prodige d'y arriver. Position exacte transmise à Hyères qui, en retour, me
transmets la position du Millé,
encore loin de la position actuelle mais en route vers nous pour assurer la
récupération des naufragés. Parallèlement j'apprends qu'une patrouille de
relève est en cours de préparation à Ajaccio
Les quarts d'heures puis l'heure s'écoulent
sans qu'une seule seconde ne m'abandonne la hantise de perdre de vue les falots
qui clignotent en bas, seuls marquages et donc seule certitude d'un sauvetage
rapide sans longue recherche. Question
lancinante de survie; nous sommes en janvier. Le temps continue à s'écouler,
l'essence inexorablement baisse.
Début de soulagement lorsque enfin le Millé, en rapprochement, prend un
premier contact phonie avec moi et que le PcOps de Hyères me communique un
HPA de la patrouille de relève compatible avec ma prudente limite d'endurance.
Dès la prise de contact avec elle, son
leader me détache le 3S armé de
phoscars. Arrivé à la verticale son pilote, gêné par une mauvaise visibilité
oblique, ne voit rien. Seule possibilité dès lors: le prendre en
contrôle total et, sur vecteur dirigé, l'amener au contact visuel; nouvelle
approche, toujours pas de visuel du pilote
mais, cette fois, largage d'un
phoscar à mon top. Une flamme, vraie résurrection, jaillit à
moins d'une centaine de yards des naufragés. La suite est passée, le marquage
sera entretenu, le Millé approche, la
récupération des naufragés semble désormais certaine. Je ressens une vague d'apaisement m'envahir; la béatitude!
..... cap sur Hyères.
Atterrissage, débriefing de l'équipage au
PCOps et, de là, suivi des opérations de secours minutes par minutes avec cette
hantise sous jacente: combien sont-ils?
Soulagement général lorsque le Millé
récupère à bord la totalité de
l'équipage, signale ''Tous sains et saufs'' et indique son heure d'arrivée à
Toulon. Il nous est accordé de prendre place dans le minibus prévu pour aller les chercher.
Cinq ou six heures du matin sur la Base sous-marine, accostage du Millé, l'équipage de la patrouille est à
nouveau réuni. Fin de vol.
Pas
tout à fait. Initiée par une
Décision ministérielle du 15 mai 1959, je recevrai quelques mois plus tard, à
ma grande surprise, une lettre de félicitations du Ministre pour ''l'efficacité
avec laquelle j'ai dirigé le sauvetage''.
Des points supplémentaires
avaient par ailleurs été
décernés aux membres d'équipage. Ils
les avaient fichtrement mérités!
5 janvier 1959
Mayday sur le 9F-5
A bord du TBM 3S 9F-5. Pilote Robert Jeannin,
Radio volant PM Norbert Maress
Radbo QM Gérard Cuirot
Mecbo SM Henri Desforges
Décollage de Campo del Oro vers
19h30 pour une mission de recherche dans un secteur situé à environ 150km dans
le sud de l’île de Porquerolles. Le vol s’effectue en compagnie d’un TBM 3w,
équipé d’un radar ventral, à 4 500 pieds pour rallier le secteur désigné. Il
fait froid, le vent est fort, la mer mauvaise et la nuit noire ? Au bout de
45mn de vol, un gros boum secoue tout le monde. Tout semble normal après
contrôle des instruments de bord. Le fait est quand même signalé par radio et
nous mettons le cap sur Hyères qui est le terrain le plus proche à 40 nautiques
environ. Puis le pilote remarque que le coin gauche de la verrière se masque et
que la tache s’agrandit rapidement.
Bientôt je remarque la même
tache sur une verrière et bientôt c’est celle de Gérard. Le doute n’est plus
permis ; c’est grave. Nous perdons toute l’huile moteur et n’irons plus bien
loin. SOS et Mayday sont lancés. L’appel sera capté par les stations en veille.
Je demande au pilote « Parachute ou la mer ». . Réponse « Pas question de
sauter ». Toutes les dispositions sont prises pour un crash de nuit en mer. Au
bout de deux minutes la température du moteur grimpe, la pression d’huile
chute, la régulation d’hélice ne fonctionne plus, le moteur s’emballe et des
gerbes d’étincelles sortent du moteur. Robert coupe tout, met l’avion en
semi-piqué pour ne pas décrocher et annonce les altitudes lues sur la
radio-sonde.
Ça va vite et c’est long en
même temps. Aussitôt après avoir annoncé 50 pieds, nous piquons dans le
bouillon. L’avion, qui est solide, ne se casse pas et fait bouchon. Pas
question de traîner. Vite, le canot de sauvetage. Après l’avoir sorti de son
logement, je saute à l’eau en le tenant
fermement par une des poignées. Je vois Robert sur l’aile, de l’autre coté qui
saute également. Gérard et Henri ont aussi sauté. En m’écartant rapidement de
l’avion, j'ai le temps de le voir se dresser verticalement et couler. Ca fait
quelque chose ! Il a du flotter environ 45 secondes. Je tiens toujours le canot
de survie, mais vu l’état de la mer et du vent, pas question de le gonfler seul.
En faisant des signaux avec les lampes torches de nos gilets de sauvetage, nous
arrivons à nous rassembler en un quart d’heure. Un, deux, trois, quatre. Ouf !
tout le monde est là. Nous gonflons le
canot et nous hissons dedans en nous aidant mutuellement.
Nous lâchons deux fusées, ce
qui confirme à ‘équipage de l’autre avion que quelqu’un est à l’eau. Puis
celui-ci est obligé de partir vers Hyères car son carburant baisse. D’autres
avions alertés par les services de secours, survolent la zone. Une fusée leur
signale notre présence, mais bien sûr, personne ne sait combien nous sommes..
dans notre canot, nous sommes bienheureux d’être tous là mais nous devons
lutter contre le froid car bien sûr nous sommes trempés et les vagues et le
vent n’arrangent rien. A coups de tapes, de frictions et de coups de poing, nous essayons de nous réchauffer. Mais
l’attente est longe dans ces conditions.
Enfin, au bout de deux heures,
au loin, un projecteur balaye la mer. Vite, une fusée pour nous signaler. Le
projecteur se braque dans notre direction. . Nous sommes repérés. Au bout d’un
quart d’heure, un fuseau long et noir apparaît silencieusement près de nous.
C’est un sous-marin, comme d’autres navires, alerté et dirigé vers nous. Vite
les filins nous sont lancés, mais nous n’avons plus beaucoup de forces et une
équipe se mettra courageusement à l’eau pour nous aider. Nous sommes sur le Millé.
On nous emmène dans un compartiment où il fait bon. On nous met rapidement en
tenue d’Adam. Et l’on nous enveloppe
dans des couvertures chaudes. A ce moment là, nous nous apercevons que Henri le
mécano est sérieusement blessé. L’infirmier du bord le prend en charge. Nous
sommes jaunes comme des chinois avec la poudre fluor des gilets de sauvetage.
Un grand coup de tafia offert par le bord pour nous remonter a pour effet de
nous faire rendre des litres et des litres d’eau de mer avalés pendant notre
bain. Pas croyable ce qu’on avait ingurgité.
Cap sur Toulon où nous arrivons
au petit matin. Habillement puis visite médicale. Henri sera conduit à
l’hôpital. Quant aux trois autres, ayant tous nos familles dans la région
toulonnaise, nous sommes conduits à domicile où personne n’était attendu.
Trois sains et saufs, avec
familles à Toulon, il nous faudra rejoindre la base d’Aspretto.
Un blessé avec famille à Ajaccio, il restera deux mois à l’hôpital à Toulon.
Cette nuit le bateau assurant
la liaison Ajaccio-Marseille était déroutée et un patrouilleur avait appareillé
de Toulon.
Si nous avions sauté en parachute, nous n’aurions sans doute pas pu nous
rassembler et il y aurait eu des dégâts.
Température de l’eau de mer : 11° signalée par le sous-marin.
Merci au Bon Dieu qui a été
avec nous cette nuit là car nos chances de nous en tirer étaient minimes.
Merci au sous-marin de nous avoir repêchés.
Comme quoi, on peut devenir
sous marinier en faisant de l’aviation.
Remarque in fine
: Le LV Lemaire s'était lui-même ditché en 1956 avec
un TBM portant le même numéro 9F-5.