Dans la débâcle des armées française en 1940, peu de commentateurs font la distinction entre les opérations terrestres et maritimes. En se fondant sur le "sacrifice de la Flottille du Béarn", il est courant de lire que "les amiraux n'avaient rien compris à l'aviation". L'examen objectif des faits montre pourtant que la Marine Nationale n'a pas démérité pendant cette période douloureuse.

L'Allemagne est une puissance continentale. Sa seule façade maritime donne sur la Mer du Nord, qui est un espace relativement réduit, entièrement compris dans le rayon d'action des avions opérant à partir des bases terrestres installées sur les différents territoires qui l'entourent. Les Nazis n'auraient donc pas pu employer une véritable flotte de haute mer. Dans le cadre d'une guerre avec la France et la Grande-Bretagne, les quelques cuirassés de poche construits pour des raisons de prestige et de propagande ne pouvaient donc avoir d'autre destin que la fin glorieuse et inutile des "raiders". Par contre, le développement d'une puissante flotte sous-marine était une des armes essentielles de l'Axe. De son côté, l'Italie de Mussolini disposait bien d'une certaine capacité navale. Mais la Méditerranée occidentale étant pratiquement aussi fermée que la Mer du Nord, sa marine de surface était condamnée à la même impuissance.

Les missions de la Marine Nationale

Face à l'Allemagne plus industrialisée et plus peuplée, l'un des atouts essentiels de la France était son empire colonial. Le premier rôle de sa marine était donc de protéger les communications des colonies avec la Métropole. Cette mission a été parfaitement remplie, puisque pas un seul des centaines de navires qui ont transporté les troupes, le matériel et le ravitaillement provenant des colonies n'a été perdu.

Pour la protection de ces colonies, les systèmes de défense mis en place ont montré leur efficacité. L'échec de l'attaque de la Thaïlande sur l'Indochine (décembre 1940-janvier 1941) a échoué comme, paradoxalement, celle du Général de Gaulle et des Anglais sur Dakar (septembre 1940). Ces défenses n'ont cédé que devant la déferlante japonaise, qui avait déjà submergé tous les autres territoires d'Asie contrôlés par les Européens ou les Américains.

La participation directe de la Marine à des opérations contre l'Axe ne pouvait être que dans le cadre d'actions périphériques comme le débarquement à Narvik, pendant lequel les bâtiments français ont joué un rôle indiscutablement efficace.

L'état de l'Aéronavale

En 1940, les appareils terrestres sont tributaires d'aérodromes qui sont encore peu nombreux en dehors de l'Europe. Les hydravions sont beaucoup plus autonomes et polyvalents, tout en disposant d'autonomie très supérieures (on ne sait pas encore alléger les trains d'atterrissage). La Marine française s'est donc dotée d'une panoplie d'appareils qui vont des grands hydravions d'exploration (Br 521 Bizerte et autres) aux torpilleurs (Laté-298), en passant par les hydravions de surveillance (surtout CAMS-55) et les nombreux hydravions catapultables (Loire 130 et GL 832) qui équipent presque tous les bâtiments de surface d'un certain tonnage. En 1940, cela représente environ 500 appareils (en majorité "lourds") répartis en 34 escadrilles. Beaucoup peuvent être considérés comme démodés, mais ils remplissent correctement leur rôle. Leur remplacement n'est pas une priorité, tous les efforts industriels étant alors monopolisés par le rééquipement de l'Armée de l'Air. Avec un effectif dépassant 15000 hommes, on ne peut pas dire que la composante aéronautique des forces maritimes était négligée.

Et les porte-avions ?

Dans le cadre d'un conflit en Europe, l'utilisation de porte-avions ne pouvait être envisagée. L'Allemagne et l'Italie avaient bien annoncé la mise en chantier d'un porte-avions chacune, mais il s'agissait uniquement d'opérations de prestige. Les moyens attribués à ces constructions n'étaient que ceux qui n'étaient pas utiles ailleurs, c'est à dire qu'ils n'ont jamais été importants et qu'au moment de la guerre, les travaux étaient pratiquement arrêtés.

Il en était de même pour la France, qui avait prévu de construire le "Joffre" et le "Painlevé" : Le chantier du premier n'avançait pas et le second n'existait que sur le papier. Ne restaient donc que le "Béarn" (lancé en 1927, refondu en 1935) et le transport d'hydravions "Commandant-Teste" (1932). Ils étaient de conceptions anciennes, complètement dépassées. Mais même s'ils avaient été neufs, ils n'auraient pas pu avoir d'autre fonction que celle qu'ils ont remplie, à savoir le transport d'avions, en particulier de ceux achetés aux Etats-Unis.

Dans ces conditions, la Marine n'a pas l'emploi d'avions "à roues", si ce n'est pour entretenir un certain savoir-faire susceptible d'être utile ultérieurement. On peut donc considérer que la "Flottille du Béarn" était très bien fournie, puisqu'elle comptait 5 escadrilles de bombardement et 3 escadrilles de chasse (plus 2 qui ont été assez vite dissoutes, car équipées de Loire 210, lesquels se sont révélés inutilisables). Chaque escadrille comptant 12 avions, et en ajoutant quelques rechanges, environ 60 bombardiers légers et 40 chasseurs étaient à la disposition de la Marine. A comparer avec les 2000 appareils de l'Armée de l'Air (1394 engagés dont 418 chasseurs disponibles le 10 mai 40). Les marins ne pouvaient donc que se limiter à défendre leurs bases. Deux d'entre elles seulement étaient à la portée de l'aviation ennemie : Toulon et Bizerte. La première a été efficacement défendue contre les attaques de la Reggia Aeronautica italienne. Mais l'Armée de l'Air se réservait la défense de la Tunisie : Elle n'a pu empêcher Karouba d'être bombardée et de subir de gros dégâts lors de l'attaque du 11 juin 1940.

Les escadrilles qui n'étaient pas affectées à la défense de Toulon et Cherbourg ont été envoyées sur des missions demandées par les états-majors Terre et Air. C'était souvent des actions désespérées pour essayer d'enrayer la progression des panzers. Notons cependant qu'il est facile aujourd'hui de qualifier ces attaques de suicidaires, alors qu'on sait maintenant les effets de la flak allemande. A l'époque, cette efficacité a surpris tout le monde, à commencer par le commandement allemand lui-même. C'est la flak qui abat ou endommage 17 des 20 bombardiers Loire-Nieuport 41 engagés le 19 mai sur la forêt de Mormal.

Dans la dernière phase de la guerre, tous les moyens disponibles ont été envoyés dans un dernier effort désordonné. C'est ainsi que les Laté 298 se sont retrouvés engagés contre des objectifs qui n'étaient pas les leurs. Cela ne prouve pas que ces appareils n'étaient pas bien adaptés aux missions pour lesquelles ils avaient été conçus, c'est à dire essentiellement des missions de sureté dans le cadre du service outre-mer. Ils ont d'ailleurs amplement démontré leurs qualités par la suite de leur carrière.

Conclusion

Donc, en 1940, l'Aéronavale, comme la Marine Nationale en général, a correctement rempli les tâches qui étaient les siennes. Cela implique qu'elle disposait du matériel et du personnel suffisants. Ce rôle n'a pas été médiatisé parce que l'essentiel de la bataille s'est déroulé et a été perdu sur un autre front. Par contre, les quelques actions qui ont été montées en épingle ont certes été héroïques, mais elles n'ont en réalité été que des incidents qui ne pouvaient avoir d'influence dans l'énorme affrontement qui s'est joué.

Ce n'est que par la suite de la guerre, et sur d'autres fronts, que l'aviation embarquée a pris de l'importance. Avant 1940, cette évolution était totalement imprévisible. Il n'est donc pas honnête de reprocher aujourd'hui aux marins d'alors.

Hugues de Pouqueville