Lorsqu'elle est affectée à Ajaccio en janvier 1955, la 9F est commandée depuis le 20 mars 1954 par le L.V. Pierre Drouin, qui a succédé au L.V. Hervio. L'état major de la flottille se compose normalement de dix officiers et l'équipage de cent quarante officiers mariniers, quartiers-maîtres et matelots, comprenant volants et non volants. Cet effectif restera à peu près constant tout au long de la carrière de la flottille.

L'activité opérationnelle de la 9F n'est pas facilitée par le manque total d'infrastructure. L'emprise de l'Aéronautique Navale sur l'aérodrome de Campo dell'Oro ne dispose d'aucun bâtiment à l'exception d'une baraque en planches permettant seulement d'entreposer effets de vol et équipements de survie. La flottille installe donc ses services techniques dans un des deux hangars de la B.A.N. La maintenance et les interventions importantes sur les TBM s'y déroulent après transit des appareils par la route. Les différents bureaux et les ateliers prennent place dans les appentis des hangars. La salle de briefing des équipages se trouve dans une pièce située au rez-de-chaussée du bâtiment de commandement. Une tour de contrôle est installée au dernier étage du bâtiment de commandement. Le personnel des services de la base sont évidemment ravis de participer à l'activité aérienne de la flottille, occupation nettement plus intéressante que le gardiennage antérieur.

A Camp dell'Oro, les TBM sont parqués sur une bretelle désaffectée de la piste Est-Ouest. Le transport du personnel et des équipages depuis Aspretto est assurée par une navette en principe à heures fixes, mais le plus souvent à la demande. Volants et personnel au sol s'entassent dans un camion américain GMC à bout de souffle et probablement laissé sur place en 1944 par les formations de l'U.S. Air Force stationnées là pendant la guerre. Malgré cet inconfort, l'opération se déroule dans la bonne humeur.

Malgré l'organisation qui laisse beaucoup à désirer, l'accueil par les résidents permanents est chaleureux. Aucune rigueur n'est tenue à la bande de joyeux lurons bruyants et facétieux que constitue le personnel volant officier marinier et qui apporte incontestablement des perturbations dans la vie paisible que connaît la base depuis cinq ans. A cette époque, les officiers mariniers, pilotes en particulier, affectionnent les grosses motos et ceux de la 9F n'échappent pas à la règle. Ils n'ont pas manqué de faire venir en Corse leurs belles anglaises par le bateau chargé du transport du matériel de la flottille. Comme d'ailleurs ceux des bases d'Afrique du Nord, à la même période, le parking réservé aux véhicules personnels se garni d'engins magnifiques tels que : 750 cm3 Triumph "Thunderbird", 750cm3 B.S.A. "Golden Flash", Royal Enfield "Météor 700", 600 cm3 Norton et autres 1000 cm3 Ariel. Il faut dire que les routes et le climat de Corse se prêtent idéalement à la circulation d'engins à deux roues. Quant à la question de la restauration, elle fait oublier les conditions d'hébergement inconfortables. Les repas y sont réputés "pantagruélliques", le dimanche tout particulièrement, car on y sert de la langouste. La première prise de contact avec le bord de mer aux plages encore vierges de toute construction a eu lieu le dimanche suivant l'arrivée de la flottille. Ce jour là, les seconds-maîtres volants y ont passé la journée avec la complicité du chef de poste qui leur avait préparé un pique-nique dont ils se souviennent encore.

Si, du point de vue personnel célibataire, la vie est plutôt agréable à la B.A.N. Aspretto, par contre le personnel marié éprouve de grosses difficultés à loger sa famille en ville ou à ses abords. Les appartements ou les maisons individuelles sont quasiment introuvables et les loyers prohibitifs. Certaines familles sont donc contraintes d'accepter de vivre en caserne, en l'occurrence dans la caserne Livrelli désaffectée, dont la transformation en logements est envisagée dès 1948 mais n'est toujours pas réalisée à l'arrivée de la 9F. Consciente de la pénurie de logements, la Marine Nationale fait aménager en 1948-1949 quelques locaux de la caserne Livrelli pour les familles du personnel militaire, mais ceux-ci sont nettement insuffisants. Dès 1952, le préfet maritime de la 3ème région échangeait avec Marine Paris des notes où il était question de construire :
- Deux immeubles permettant de loger un total de vingt familles, sur le terrain de la batterie basse de la chapelle des Grecs.
- Un immeuble permettant de loger dix familles sur le terrain de la caserne Livrelli, tandis que les locaux existants de cette caserne seraient transformés en appartements pouvant loger dix-huit familles.
Mais soit par manque de crédits, soit par le fait que la base est en gardiennage depuis le 3 janvier 1951, aucun de ces projets n'a été réalisé. Le 1er janvier 1954, dans la fiche de renseignements que transmet le C.C. Le Berre commandant la B.A.N. Aspretto au C.A. Ruyssen chef du service central de l'Aéronautique Navale, il est précisé que les capacités de logement pour les familles sont nulles. Une partie de celles-ci seulement seront logée dans les rares locaux disponibles de la Marine en Corse : Amirauté et caserne Livrelli. Les familles du personnel de la 9F acceptant d'y être logés devront se contenter de dortoirs transformés en studios à l'aide de cloisons en bois, ce qui ne favorise guère l'intimité. Le commandant de la flottille ne sera guère mieux installé dans le bâtiment Marchetti de l'Amirauté. La seule construction existante est le bâtiment officiers de la B.A.N.

Malgré les deuils qui frappent la 9F à plusieurs reprises et les conditions d'hébergement loin d'être idéales, le personnel de la flottille garde dans sa grande majorité un excellent souvenir de son séjour en Corse. Ne serait-ce que par la beauté de l'environnement incitant au tourisme, le côté naturel préservé de ses plages, l'accueil et l'hospitalité dans les villages et en particulier de la part des bergers; l'affectation à Aspretto est ressentie par bon nombre de personnels de la 9F comme un privilège. Mais la grande diversité des vins, de l'excellente charcuterie et des fromages entrent aussi sans aucun doute dans cette appréciation de séjour. Ne voit-on pas d'ailleurs à cette époque des Lancaster puis des Neptune en vol de navigation depuis Lann-Bihoué, troquer sur le parking de Campo dell'Oro leurs cargaisons de bourriches d'huîtres et autres fruits de mer contre des caisses de vins de Patrimonio, de charcuterie, de fromages Probablement dus aussi à la bonne ambiance qui y règne et à son activité intense comportant de nombreux embarquements à bord des trois porte avions. La flottille 9F est alors la plus prisée et la plus demandée des flottilles de l'aviation embarquée et ce malgré les performances de son matériel aérien ne correspondant pas tout à fait au caractère de pilotes jeunes et fougueux.

Laissons la conclusion à l'un de ces jeunes pilotes d'alors :"Je conserve un excellent souvenir de mon passage à la 9F à Ajaccio, car il régnait dans cette flottille une ambiance chaleureuse assez familiale. Les pots organisés par le Pacha ont toujours eu beaucoup de succès. Je me souviens d'une soirée mémorable donnée chez lui à l'Amirauté à tous les pilotes de sa flottille. Un grand moment dans l'histoire de la 9F !" Que dire aussi de l'inauguration très officielle de l'édicule élevé sur le terrain de Campo dell'Oro par le personnel de la 9F pour servir de "commodités", un moment clochemerlesque !