Gazette ARDHAN n° 157 du 12 mai 2008

 

Par André Lemaire et Norbert Maress

Ditching de nuit du TBM  9F-5 de la 9F

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Remarque liminaire : Dans  un accident aérien grave (No 3/59- Ditching de nuit du TBM 9F-5 le 5 janvier 1959) il est toujours intéressant de lier les souvenirs des différents membres d'équipage, en l'occurrence le LV Lemaire, chef de la patrouille sur le TBM3W- 9F-16 et le PM Maress, radio du TBM3S- 9F-5, sectionnaire,   piloté par le SM Jeannin.  On obtient ainsi une vision plus humaine, plus chaude et plus vivante telle qu'elle ne figure pas dans les conclusions d'un rapport d'accident nécessairement impersonnel dans sa rigueur technique.

 

Souvenirs d’ André Lemaire, officier en second de la flottille   

 

Décollage d'Ajaccio en début de nuit, sectionnaire SM Jeannin, pour recherche par nuit noire et Casex avec le sous-marin Millé.  Prise de route vers la zone d'exercice dans le Sud  de Porquerolles.  

Vol de routine pendant la première partie du transit lorsque, brutalement, c'est le choc : la couronne moteur du 9F-5 s'enflamme, véritable feu d'artifice dans la nuit. C'est grave et visiblement, c'est bien le cas de le dire hélas, ça ne va pas tenir  très longtemps.     

 Jeannin confirme et me tient au courant des paramètres d'un moteur qui lâche effectivement dans la minute suivante. L'avion amorce dès lors une descente irrémédiable vers un inconnu menaçant et obscur; je l'accompagne en section sur sa gauche. 

 May day, accompagné de la position, émis et reçu par le PcOps de Hyères qui prends tout de suite la coordination des opérations de sauvetage. Litanie des actions vitales rappelées à Jeannin au fur et à mesure que l'altitude décroît, largage des verrières au top; rappels probablement inutiles-je connais bien Jeannin- mais dans un tel cas de tension nerveuse, deux réflexes valent mieux qu'un. 

De l'altimètre je suis passé à la radio sonde lorsque d'un seul coup, freinés comme par un brin de porte-avions, les feux de navigation du 5 disparaissent sous mon plan droit; ça y est. 

Orbite immédiate pour essayer de localiser l'impact.  Rien d'abord mais très vite des petites lueurs clignotent, pratiquement invisibles mais rendues mieux détectables grâce à l'obscurité profonde de la nuit.  Il y a des survivants. Une fusée  confirme.

Stabilisation ultra rapide de l'avion pour essayer d'obtenir un recalage sur la côte sans perdre des yeux ces petites lueurs qui, de toute évidence, ne peuvent être que des lampes de mae-west.  Le PM Grall, au poste radar, réussit le prodige d'y arriver. Position exacte transmise à Hyères qui, en retour, me transmets la position du Millé, encore loin de la position actuelle mais en route vers nous pour assurer la récupération des naufragés. Parallèlement j'apprends qu'une patrouille de relève est en cours de préparation à Ajaccio

Les quarts d'heures puis l'heure s'écoulent sans qu'une seule seconde ne m'abandonne la hantise de perdre de vue les falots qui clignotent en bas, seuls marquages et donc seule certitude d'un sauvetage rapide sans  longue recherche. Question lancinante de survie; nous sommes en janvier. Le temps continue à s'écouler, l'essence inexorablement baisse.    

Début de soulagement lorsque enfin le Millé, en rapprochement, prend un premier contact phonie avec moi et que le PcOps de Hyères me communique  un  HPA de la patrouille de relève compatible avec ma prudente limite d'endurance. 

Dès la prise de contact avec elle, son leader me détache le 3S  armé de phoscars. Arrivé à la verticale son pilote, gêné par une mauvaise visibilité oblique,  ne voit rien.   Seule possibilité dès lors: le prendre en contrôle total et, sur vecteur dirigé, l'amener au contact visuel; nouvelle approche, toujours pas de visuel du pilote  mais, cette fois,  largage d'un phoscar  à mon top.  Une flamme, vraie résurrection, jaillit à moins d'une centaine de yards des naufragés. La suite est passée, le marquage sera entretenu, le Millé approche, la récupération des naufragés semble désormais certaine.  Je ressens une vague d'apaisement m'envahir; la béatitude! .....  cap sur Hyères.

Atterrissage, débriefing de l'équipage au PCOps et, de là, suivi des opérations de secours minutes par minutes avec cette hantise sous jacente: combien sont-ils?  Soulagement général lorsque le Millé récupère à  bord la totalité de l'équipage, signale ''Tous sains et saufs'' et indique son heure d'arrivée à Toulon. Il nous est accordé de prendre place dans le minibus  prévu pour aller les chercher.

 Cinq ou six heures du matin sur la Base sous-marine, accostage du Millé, l'équipage de la patrouille est à nouveau réuni.  Fin de vol.

Pas  tout à fait.  Initiée par une Décision ministérielle du 15 mai 1959, je recevrai quelques mois plus tard, à ma grande surprise, une lettre de félicitations du Ministre pour ''l'efficacité avec laquelle j'ai dirigé le sauvetage''.  Des points supplémentaires  avaient   par ailleurs été décernés aux  membres d'équipage. Ils les avaient fichtrement mérités!    

 

De  Norbert Maress, radio volant sur TBM

5 janvier 1959
Mayday sur le 9F-5
A bord du TBM 3S 9F-5. Pilote Robert Jeannin,
Radio volant PM Norbert Maress
Radbo QM Gérard Cuirot
Mecbo SM Henri Desforges

Décollage de Campo del Oro vers 19h30 pour une mission de recherche dans un secteur situé à environ 150km dans le sud de l’île de Porquerolles. Le vol s’effectue en compagnie d’un TBM 3w, équipé d’un radar ventral, à 4 500 pieds pour rallier le secteur désigné. Il fait froid, le vent est fort, la mer mauvaise et la nuit noire ? Au bout de 45mn de vol, un gros boum secoue tout le monde. Tout semble normal après contrôle des instruments de bord. Le fait est quand même signalé par radio et nous mettons le cap sur Hyères qui est le terrain le plus proche à 40 nautiques environ. Puis le pilote remarque que le coin gauche de la verrière se masque et que la tache s’agrandit rapidement.

Bientôt je remarque la même tache sur une verrière et bientôt c’est celle de Gérard. Le doute n’est plus permis ; c’est grave. Nous perdons toute l’huile moteur et n’irons plus bien loin. SOS et Mayday sont lancés. L’appel sera capté par les stations en veille. Je demande au pilote « Parachute ou la mer ». . Réponse « Pas question de sauter ». Toutes les dispositions sont prises pour un crash de nuit en mer. Au bout de deux minutes la température du moteur grimpe, la pression d’huile chute, la régulation d’hélice ne fonctionne plus, le moteur s’emballe et des gerbes d’étincelles sortent du moteur. Robert coupe tout, met l’avion en semi-piqué pour ne pas décrocher et annonce les altitudes lues sur la radio-sonde.

Ça va vite et c’est long en même temps. Aussitôt après avoir annoncé 50 pieds, nous piquons dans le bouillon. L’avion, qui est solide, ne se casse pas et fait bouchon. Pas question de traîner. Vite, le canot de sauvetage. Après l’avoir sorti de son logement,  je saute à l’eau en le tenant fermement par une des poignées. Je vois Robert sur l’aile, de l’autre coté qui saute également. Gérard et Henri ont aussi sauté. En m’écartant rapidement de l’avion, j'ai le temps de le voir se dresser verticalement et couler. Ca fait quelque chose ! Il a du flotter environ 45 secondes. Je tiens toujours le canot de survie, mais vu l’état de la mer et du vent, pas question de le gonfler seul. En faisant des signaux avec les lampes torches de nos gilets de sauvetage, nous arrivons à nous rassembler en un quart d’heure. Un, deux, trois, quatre. Ouf ! tout le monde est là.  Nous gonflons le canot et nous hissons dedans en nous aidant mutuellement.

Nous lâchons deux fusées, ce qui confirme à ‘équipage de l’autre avion que quelqu’un est à l’eau. Puis celui-ci est obligé de partir vers Hyères car son carburant baisse. D’autres avions alertés par les services de secours, survolent la zone. Une fusée leur signale notre présence, mais bien sûr, personne ne sait combien nous sommes.. dans notre canot, nous sommes bienheureux d’être tous là mais nous devons lutter contre le froid car bien sûr nous sommes trempés et les vagues et le vent n’arrangent rien. A coups de tapes, de frictions et de coups de poing, nous essayons de nous réchauffer. Mais l’attente est longe dans ces conditions.

Enfin, au bout de deux heures, au loin, un projecteur balaye la mer. Vite, une fusée pour nous signaler. Le projecteur se braque dans notre direction. . Nous sommes repérés. Au bout d’un quart d’heure, un fuseau long et noir apparaît silencieusement près de nous. C’est un sous-marin, comme d’autres navires, alerté et dirigé vers nous. Vite les filins nous sont lancés, mais nous n’avons plus beaucoup de forces et une équipe se mettra courageusement à l’eau pour nous aider. Nous sommes sur le Millé. On nous emmène dans un compartiment où il fait bon. On nous met rapidement en tenue d’Adam.  Et l’on nous enveloppe dans des couvertures chaudes. A ce moment là, nous nous apercevons que Henri le mécano est sérieusement blessé. L’infirmier du bord le prend en charge. Nous sommes jaunes comme des chinois avec la poudre fluor des gilets de sauvetage. Un grand coup de tafia offert par le bord pour nous remonter a pour effet de nous faire rendre des litres et des litres d’eau de mer avalés pendant notre bain. Pas croyable ce qu’on avait ingurgité.

Cap sur Toulon où nous arrivons au petit matin. Habillement puis visite médicale. Henri sera conduit à l’hôpital. Quant aux trois autres, ayant tous nos familles dans la région toulonnaise, nous sommes conduits à domicile où personne n’était attendu.

Trois sains et saufs, avec familles à Toulon, il nous faudra rejoindre la base d’Aspretto.
Un blessé avec famille à Ajaccio, il restera deux mois à l’hôpital à Toulon.

Cette nuit le bateau assurant la liaison Ajaccio-Marseille était déroutée et un patrouilleur avait appareillé de Toulon.
Si nous avions sauté en parachute, nous n’aurions sans doute pas pu nous rassembler et il y aurait eu des dégâts.
Température de l’eau de mer : 11° signalée par le sous-marin.

Merci au Bon Dieu qui a été avec nous cette nuit là car nos chances de nous en tirer étaient minimes.
Merci au sous-marin de nous avoir repêchés.

Comme quoi, on peut devenir sous marinier en faisant de l’aviation.

 

Remarque in fine : Le LV Lemaire s'était lui-même ditché en 1956 avec un TBM portant le même numéro 9F-5.