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Souvenirs de Christian BELTRAN
Les Dorniers 24 de la 9F
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Le matelot de 1ère classe Christian BELTRAN vient d’être breveté mécanicien moteur à Rochefort.
TUNISIE, B.A.N.Karouba, 10 janvier 1950 : Présentation à ma première affectation opérationnelle, la 9ième flottille, dotée de magnifiques hydravions DORNIER 24, tri-moteurs
La cascade de présentations se termine devant le Premier Maître armurier, son rôle en général confident de la compagnie, le chef de service assurant le rôle d’ingénieur, et le commandant Lieutenant de Vaisseau. Suite à tous ces rendez-vous je me retrouve en équipe de visite, moteur droit. Nous sommes deux à l’entretien de celui-ci. Mes responsabilités quotidiennes consistent à la mise en état du matériel volant. Nous travaillons juchés sur des plates formes à hauteur respectables du sol, sur les moteurs à nus, tous organes apparents, lesquels nécessitent nos soins attentionnés. L’adaptation est rapide, l’environnement sympathique, la camaraderie prend le pas. L’ambiance générale lie la grande famille que nous formons. Les anciens ont fait la guerre “ la dernière bien sur ”. Mes critères d’adaptations m’ont toujours été favorables .
DESCRIPTION du DO 24
Hydravion à coque avec nageoires
Aile haute haubanée supportant 3 moteurs en étoile BRAMO de 1000 cv à injection.
La pointe avant avec sa tourelle, à la suite le poste
de pilotage, à la suite le poste de navigation, le poste du mécanicien plutôt
un réduit, avec son système autonome, les instruments de contrôles moteurs,
commandes de robinets essence pour les transferts de carburant, de radiateurs
pompes de gavages, contacts les démarreurs à inertie. Une cloison étanche. A la
suite, le poste passagers où sont disposées deux couchettes de repos pour
l’équipage, que j’utiliserai certains jours pour fatigue ou quelques
moments de détente. Un couloir, permettant d’accéder à la tourelle arrière située
entre les deux importantes dérives, splendide pour prise de vues aériennes.
La flottille a supprimé le numéro 6 de tous les appareils en dotation : deux n° 6 ont disparus dans des circonstances particulières et dramatiques ( le numéro 6 réapparaît au changement de matériel, en passant à l’aviation embarqué sur SB2C5 )
Je suis admis à voler, mon chef de visite a intercédé
en ma faveur. L’avion “DO 24 9F2”sur le plan d’eau. La vedette
assurant le transport de l’équipage, mon parachute sous le bras, “ au cas où ”. Les
pilotes s’installent, j’en fais de même. Je seconde de mon mieux le mécanicien
de bord : mise en route du groupe auxiliaire, tout est paré. Sur ordre du
commandant de bord les moteurs sont lancés, réchauffage de la mécanique, les
points fixes sont effectués en hydroplanant. Contact avec la tour, alignement
face au vent, 15° de volets sortis, mise des gaz. L’avion se cabre, accélère, du
sillon sur le lac que l’étrave écorche monte un nuage d’eau que les hélices
aspirent, le rejetant sur l’arrière en un épais brouillard . Le badin
indique la vitesse qui augmente rapidement. Sollicité par le pilote en poussant
le manche, l’appareil passe sur le Redan, oscille sur ses axes à la recherche
d’un équilibre incertain. Ajouté au tonnerre des échappements libres des
moteurs pleins régimes, le bruit de la coque sur l’ eau est assourdissant.
L’ensemble vibre à l’extrême, impression de dislocation de la machine. Brutal,
un calme nous assaille : nous venons de quitter le plan d’eau. Les régimes
moteurs sont ajustés, augmentation du pas des hélices. A l’altitude nous
rentrons les volets. Les moteurs à la sécurisante musique nous communiquent
leurs vibrations, atténuant ainsi le moment du premier décollage sur Dornier
24.
Sur tous les appareils qui m’ont portés, les vibrations ressenties ont toujours été un
élément de bonheur intense .
Profitant de la mise en palier, je dévisse les bondes d’évacuations de cales et vidange la coque. Ecoulement terminé, je remets mes bouchons en place. A l'altitude de navigation, sur autorisation, je rends
visite à tous les postes, bien reçu par l’équipage. Je file à la tourelle
arrière où je suis au grand balcon sur le monde, l’esprit dominateur .
Nous rentrons mission terminée, dommage tout était si beau.
Scénario classique, volets sortis, les moteurs au
petit pas 2400 t/m, approche entre les bouées. Toujours le même bruit de galets
au glissement de la coque sur l’eau. Les moteurs au ralenti, le central coupé,
nous prenons notre point d’ancrage que l’armurier du bord vient d’agripper avec
la gaffe .
La vedette est là à nous attendre pour nous ramener à terre, deux points cinq à noter sur mon carnet de vol, tout un début .
Mon supérieur direct me demande de le suivre aux
magasins d’habillement. Nous allons prendre possession du lot de vêtements qui
nous est attribué. Je m’installe à bord de la jeep. Arrivés au local, nous
laissons le véhicule devant la porte afin d’éviter de courir avec notre
chargement, entrons pour essayer le paquetage nouveau. Satisfaits, nous sortons
pour regagner le coche. Au seuil du bâtiment, plus de jeep : nous ferons le
trajet à pieds, bien chargés. A notre arrivée, l’ingénieur nous demande :
“ Où avez-vous abandonné le véhicule ? ”
Le chef tout joyeux :
“ On vient de nous faire une farce. La jeep, doit être
derrière le hangar. Je vais aller voir ” A l’arrière rien, nous faisons le tour, la
jeep est totalement absente .
La flottille est en émoi, les officiers sont privés de leur jouet favori.
Dans le courant de l’après midi, un appel téléphonique
nous parvient des services de sécurité. Ils nous signalent “ un pare-brise de jeep
qui dépasse du niveau de l’eau à hauteur des locaux habillements ”.
Nous accourons. Là, stupeur, notre jeep est au fond du lac,
bien posée sur ses quatre roues. Le chef, toujours lui, avait omis de serrer le
frein à main ! En écrivant ces lignes je ris de bon cœur, c’était tellement
comique .
Nous avons décidé, de breveter parachutiste le chat du
commandant. Je confectionne une insigne, que nous devons river sur son collier.
Entre-temps, nous récupérons un parachute de “ SONO-BOY ”, bouée qui permet
la localisation des sous-marins en plongée, et un boute égal à la hauteur du
hangar, 25 mètres environ. Nous préparons l’animal, qui ayant l’habitude de se
laisser caresser ne proteste pas, grimpons au sommet du bâtiment, jetons le
félin dans le vide, tirons sur le boute de la voile. Celle-ci se déploie
correctement, l’animal touche le sol en douceur. Par le grand filin nous remontons
le tout.
Là, les choses se compliquent, notre chat manifeste
son refus de renouveler l’opération. Nous arrivons à le convaincre, le
sanglons, le jetons à nouveau dans le vide. Malgré notre science, le parachute
se met en torche et le contact avec le sol se fait brutalement. Le chat affolé
court dans tous les sens, se débarrasse de son harnais, traverse un bac d’huile
de vidange, tout dégoulinant, et se réfugie sur le bureau de son maître, où
plusieurs dossiers en attente de signature s’étalent .
La suite : Ces fameux dossiers sont à refaire et le
Commandant dans une rage folle cherche le motif à ces évènements visqueux,
Notre animal resta muet, à notre grand soulagement, nous évitant des suites
désagréables .
Le Premier-maître Campin pilote passe au grade
supérieur, donc Maître principal. Le matin, arrivant au hangar comme à mon
habitude, en le croisant je lui marque mon respect authentique et sincère, le
saluant d’un “ bonjour patron ”. Celui-ci me rappelle “ dis petit, je suis maître principal, à ce
titre j’ai droit à l’appellation de maître principal, fais moi plaisir ” avec
son fort accent du midi de toulonnais d’origine. Ma réponse fut “ oui patron ” et
il m’a botté les fesses.
Le Maître-principal Campin a été sérieusement blessé suite au
crash à l’amerrissage d’un “ BREGUET 731 ” à Port Lyautey, seul survivant
je crois .
Nous sommes samedi, en service d’été, ce qui signifie,
journée terminée à 13 heures. Je suis de service au hangar. Il me faut assurer
la maintenance d’un vol de réception, le 9F4 qui attend sagement attaché à
sa bouée, ballotté par la houle légère
qui frise le lac. L’appareil sur le plan d’eau. Mon travail consiste à amener
l’équipage à bord et à assurer éventuellement les réparations des derniers
instants.
Le chef de bord est un Enseigne de Vaisseau que je connais
particulièrement. Je palabre avec lui en attendant le reste de l’équipage.
“ Lieutenant, vous n’allez pas me laisser seul sur le
quai ? Vous pourriez me prendre à votre bord. ” Il me regarde en souriant “ D’accord Beltran, vous
seconderez le patron mécano ”
Sans attendre je cours au magasin, récupère un parachute, un gilet de sauvetage “ Mae-West” et
je saute dans la vedette qui nous fait rallier le Dornier. L’équipage prend
place. Mon patron tout heureux de ma présence me laisse toute liberté et va
retrouver le navigateur pour une discussion animée.
Groupe auxiliaire en marche, sur ordre, je mets les trois
moteurs en fonctionnement. Les pilotes effectuent les points fixes, je confirme pression huile, essence ok. Contact avec la tour, nous nous alignons, décollage toujours aussi enchanteur, bruits
vibrations, calme brutal qui confirme la sustentation de l’avion, seuls les
moteurs hurlent de puissance et de satisfaction.
Mon patron prend le relais et me suggère “ Va jeter un
coup d’œil à la tourelle arrière ” je contacte le chef de bord et lui signale
mon déplacement vers l’arrière. La vue est superbe. Je branche mon interphone. Le
pilote nous prévient “ ma femme est à la plage, nous allons la saluer”.
Le chenal de BIZERTE au-dessous, virage serré sur la droite, descente
rapide, la plage au loin en ligne de mire, droit devant. Altitude 15 à 20
mètres, nous passons verticale les parasols, qui n’apprécient nullement ces
turbulences .
Au retour la police militaire est là à nous attendre :
le chef écope d’un blâme. Dommage, nous sommes prêts à recommencer .
Au fil des jours mes connaissances sur le matériel prennent de l’importance. Les révisions de 30, 60, 120 heures me voient ramper à l’intérieur de l’aile pour visite aux réservoirs de carburant. Tout aspect suspect est à signaler sur les tuyauteries qui sont soumises à mon inspection.
Un filtre à essence est à changer sur le moteur central du “9F2”, nécessitant pour l’opération un mécanicien de petite taille. Bien sur, tous les regards se posent sur moi. Le passage est étroit, qui plus est, encombré de montants et raidisseurs de toutes sortes qui n’en facilitent pas l’accès. Je me faufile tant bien que mal après avoir au préalable vérifié la position des commandes des robinets au poste mécanicien. Sur de leurs fermetures, avec le jeu de clés adéquat, je commence à débloquer les tuyauteries et vis de retenue. J'enlève la pièce défectueuse et je la laisse glisser le long du mât central sur la partie haute du fuselage. Je présente le robinet neuf et son filtre, le fixe sur la cloison. A ce moment un camarade au poste mécano, pour faciliter ses propres manœuvres, ouvre les trois robinets simultanément. Un flot d’essence, tel une douche, s’abat sur moi et me lave le corps. Je me mets à crier. La réponse n’est pas instantanée et je me retrouve couvert de carburant de la tête aux pieds. Mes vêtements sont souillés en quelques secondes d’une couleur rouge orange du plus bel effet. Une douche n’atténuant en rien la nocivité, je me retrouve à l’infirmerie. Le “ plomb trétraéthyle ” que contient l’essence avion avait brûlé ma peau aux endroits les plus sensibles...
Un accident sans gravité pour le personnel : un JU 52 de la 32 S en difficulté, suite à une panne de frein, percute le 9F4 sur son chariot. Le moteur gauche du JU52 cisaille de son hélice le fuselage du DO 24 à l’arrière du siège pilote droit alors qu'un camarade électricien assis travaillait à la remise en état du tableau de bord. Le moteur central du JU52 sectionne le bâti moteur du GMP gauche du DO24. Belle frousse ! Aucun blessé n’est à déplorer. Visite au bar impérative, ou moult réflexions plus érudites que courtoises spiralent autour du zinc
L’ancienneté aidant, me voila promu patron d’appareil sur le 9F2. Je suis membre d’équipage à part entière, aux petits soins pour la machine, le bonheur presque parfait. Je prends un air supérieur, quelle erreur “ Mais je vole ” ..
Les hydros ont besoin d’artifices pour se déplacer du hangar à l'eau, leur élément. Ils sont posés sur un chariot, tracté par un puissant véhicule 4x4, important vu le poids de l’ensemble . On peut utiliser deux opérations pour la mise à l’eau : la grue, sans danger et facile à mouvoir, ou bien le plan incliné “SLIP”, qui met en oeuvre, le tracteur et, pour la retenue de l’ensemble, le personnel avec cordages divers. C'est un travail, délicat, difficile, dangereux.
Une mise à l’eau spectaculaire : le câble de retenue était trop court. Malgré mes remarques formulées à maintes reprises, mes supérieurs restent de marbre. Le tracteur trop prés du chariot suite à ce fameux câble, le limon important à cette saison, l’adhérence nulle, je me retrouve dans la cabine avec de l’eau à hauteur de la ceinture, moteur, boite, pont, noyés. Il faut un engin supplémentaire pour nous sortir de ce mauvais pas. L’ingénieur furibond, qui n’avait pas voulu signer le bon, me permet enfin de changer pour un filin plus long. Tout cela est sans ennuis pour le personnel heureusement .
Un vent de panique souffle sur la 9iéme flottille : la
tour nous signale un “DO 24 ” en difficulté. Le monde des mécanos entre en
effervescence, comme cela devient maintenant une habitude.
L’appareil à décollé en fin de matinée par un temps de
chien, vent pluie, pour une mission de trois heures. Elle n’a pu être menée à
son terme, des ennuis mécaniques sérieux ont abrégé le plan de vol. Le moteur
gauche coupé “ pression d’huile inexistante ”. Le central balbutiant qu’il
faudra passer en drapeau ”piston percé, fumant dur “. Le droit en
sur régime, les températures sont au-dessus de l’acceptable, mais sans danger pour
l’immédiat. Il ne rechigne pas à la tâche malgré le surplus de puissance
demandée. Permettra-il de couvrir les derniers milles ?
Le commandant donne l’ordre de passer par-dessus bord
tout ce qui traîne à l’intérieur afin d’alléger la machine, sans grand résultat
d’ailleurs. La pente diminue tout aussi rapidement, un cran de volets est
sorti, mais la traînée augmente . Pilote et mécanicien au chevet du moribond,
qui agonise. Au loin, le chenal de Bizerte apparaît, bien encombré, qu’il faudra
sauter dans un dernier sursaut.
Le lac est sérieusement agité d’une forte houle,
qu’un vent puissant conforte. L’amerrissage sera dur. Au contact violent du
redan avec la nappe liquide, le moteur droit coupe net : il vient de vivre ses
derniers instants. Le vent fort drosse le “DO 24 ” sans contrôle vers la
berge opposée, vers les récifs. L’équipage jette à l’eau les freins de toiles
sans grand succès. Le vent, toujours lui, prépondérant complique l’opération. La
vedette au loin assiste impuissante aux évènements, essayant d’accrocher le
filin. Les éléments ne facilitent en rien la manœuvre. Aux derniers instants la
remorque est agrippée par le personnel. La navette à du mal à ramener notre
hydro en direction une anse plus paisible, à l’abri du déchaînement de la nature,
où l’équipage pourra souffler. Ils ont été sérieusement secoués .
Un amerrissage en mer eût été catastrophique. Les
trois moteurs sont a changer
Le matériel vétuste va poser dans l’avenir de sérieux problèmes de maintenance, nécessitant des soins constants. Les heures de vols deviennent délicates. Chaque décollage relève de l’exploit. Au terme de son potentiel, le matériel, obsolète, sera retiré du service actif.
Mais avant, il faut effectuer bien des réparations. Les appareils sont à la bouée, j'emprunte la vedette, attachant l’outillage à l’extrémité d’un boute pour lui éviter le plongeon fatal. Profitant d’un calme relatif, je me laisse glisser à l’eau, quel délice... Sur le lac qu’une brise légère agite doucement, les vagues sur la coque font une résonnance. Les mouettes bavardes et leurs cris déchirants, rompent ce doux silence. Le moment est féerique. Je suis un solitaire, j’apprécie c’est instant
Je regretterai de quitter ce matériel robuste bien étudié. Quelle magnifique technique ! Par contre les hélices sont équipées de commandes de pas électriques dépourvues de régulateurs, d’où des difficultés certaines en utilisation pour assurer la synchronisation des GMP. Ce sont ces mêmes moteurs qui équipaient les FOCKE-WULF 200 ”. Pour les techniciens et navigants leurs philosophie restait particulière.
Suite des mémoires de Christian Beltran sur SB2C “Helldiver”